Peugeot 205 Turbo 16 / Systèmes Actifs – Projets Spéciaux par Lotus (GM)

Publié le: Feb 23, 2018 @ 01:41
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INTRODUCTION

Il était assez surprenant d’apprendre qu’un duo de Peugeot 205 Turbo 16, mythiques voitures d’homologation en Groupe B, ont été mises en vente aux enchères Barrett-Jackson de Scottsdale USA en janvier 2018. Ce qui est encore plus surprenant, c’est que ces voitures étaient la propriété de General Motors, le célèbre constructeur automobile Américain. Une des voitures était consignée comme ayant une «suspension active», ce qui justifiait bien sûr une enquête plus approfondie de la part du Rally Group B Shrine! La primeur de la découverte doit être attribuée à Jonathan Grabowski pour avoir débusqué une partie de l’histoire en 2013. Depuis, le Shrine est entré en contact avec l’ancien ingénieur de Lotus Patrick Peal, l’ancien chef de projet Steve Green, et l’ancien directeur du département de recherche et développement Peter Wright, parmi d’autres, pour en connaître d’avantage.


CONTENU RAPIDE


HISTORIQUE

Au cours des années 1980, General Motors a été fortement impliquée dans les systèmes de «suspension active», car ils ont construit et testé plusieurs de ces voitures sur le terrain de Milford Proving Grounds au Michigan. D’autres systèmes de ce type étaient également développés de l’autre côté de l’océan par Lotus, alors propriété de GM, pour une utilisation en Formule 1. Lotus Engineering a ensuite commencé à tester des systèmes de suspension active sur des voitures de route, en commençant par le modèle sportif bien connu de la marque, l’Esprit, puis sur des modèles GM tels que la Buick Park Avenue et la légendaire Chevrolet Corvette.

L’Esprit – la première routière de Lotus avec suspension active.

Le développement de la suspension active initialement conçue pour l’équipe de F1 en 1981/82 devint une offre technologique majeure pour Lotus Engineering. Cette ingénierie se transforma en une suite complète de systèmes embarqués pour le contrôle dynamique automobile. Vers 1984, Lotus a obtenu un contrat très important de GM pour développer cette gamme de systèmes qui seraient ensuite présentés dans une voiture concept futuriste, la Chevrolet Corvette Indy.

1986 Chevrolet Corvette Indy – voiture concept.

À ce moment, Lotus avait déjà construit plusieurs voitures à suspension active pour GM alors que la société travaillait également avec Volvo et leur avait vendu un concept pour créer un système de direction arrière actif qui fonctionnait incroyablement bien (au minimum +/- 5 degrés de direction, du moins assez pour contrôler la réponse de direction et pas simplement l’ajuster). Lotus avait donc déjà dépassé le concept unique de la suspension active, faisant d’eux le candidat idéal pour un projet nécessitant un vaste système intégré. L’intention ultime était d’être en mesure de contrôler toute force physique liée au contact des pneus avec la route pour atteindre une performance optimale.

Pour ce projet très spécial, Lotus Engineering avait besoin de nouvelles technologies et surtout de véhicules pour les essayer. Ces voitures se devaient d’être très performantes, à quatre roues motrices, et idéalement assez faciles à modifier. Alors que les ingénieurs envisageaient de construire leur propre banc d’essai, ils ont analysé toutes les voitures disponibles à l’époque, leurs regards se posant en fin de compte sur les voitures de rallye en Groupe B. La MG Metro 6R4 alors en développement était une possibilité, tout comme la Ford RS200, mais Lotus a préféré acheter les deux dernières 205 Turbo 16 (châssis # 048 et # 091) par le biais d’André de Cortanze chez Peugeot Talbot Sport (PTS).

La Peugeot 205 Turbo 16 série 200 de 1984 – 200 unités furent produites pour l’homologation en Groupe B.

Les voitures ont été livrées à Lotus à l’état neuf. Elles ont donc d’abord dues êtres utilisées comme véhicules de balade le temps de les roder. Patrick Peal, l’un des ingénieurs de Lotus impliqués dans le projet, se souvient de l’expérience comme étant « tout à fait incroyable! »:

« J’en ai ramené une chez moi à Brighton pour le week-end et rendre visite à des amis… J’ai découvert assez tôt qu’en appuyant à fond sur l’accélérateur pendant un court instant, je pouvais faire dégager une énorme flamme du pot d’échappement. Tout un effet sur le boulevard la nuit… Cela me fait toujours sourire – et il y a encore des gens de Brighton qui parlent de la petite 205 aux stéroïdes qui crachait des flammes! »

Le gérant de projet Steve Green se souvient également avoir conduit une des Peugeot assez affectueusement :

« Je sais que le moteur tournait à 7 500 tr / min à 210 km/h en cinquième vitesse car je l’ai fait sur la piste d’essai GM de Van Dyke, puis on m’a avertit qu’il y avait une limite de vitesse de 110 km/h… oups! »

Cette excitation partagée a été facilitée par le fait que Lotus avait décidé que les 197 c.v. de la voiture «standard» ne suffiraient pas, en tenant compte du poids supplémentaire des futurs systèmes spéciaux (comme l’hydraulique) et des pertes de puissance associées à ceux-ci, menant donc à la décision d’acheter le «kit PTS» offert par Peugeot Talbot Sport. Celui-ci augmentait donc la puissance à 300 c.v. parmi d’autres importantes améliorations. Plus d’informations sur le «kit PTS» peuvent être trouvées avec CE LIEN (anglais).

Châssis #91 équipé du kit PTS et des systèmes spéciaux.

La cavale terminée, Lotus a débuté le long et ardu travail de développer la gamme de systèmes actifs et procéder à leur montage sur le châssis # 091. Il va de soi qu’une telle ingénierie très sophistiquée nécessitait une façon de s’assurer qu’elle avait réellement amélioré les performances globales de la voiture, de sorte que l’autre 205 Turbo 16 (châssis # 048) a été conservée à son état d’usine comme référence.

Le grand voyage du mulet de la Corvette Indy a commencé par la mise en place de la célèbre offre technologique de Lotus: la suspension active. Le but étant de garder le châssis de la voiture à niveau pendant les freinages et les virages jusqu’à la limite de l’adhérence. Pour ce faire, le système mesure constamment le tangage, le lacet, et le patinage des pneus sur les quatre roues tout en procédant aux ajustements nécessaires pour palier à ceux-ci.

Le projet a continué dans sa deuxième phase avec la modification du système à quatre roues motrices de la Peugeot avec un second différentiel entraîné par un moteur hydraulique: un système de contrôle du couple permettant aux ingénieurs d’ajuster avec précision la vitesse de l’essieu avant par rapport à celle de l’essieu arrière et ainsi rediriger tout patinage.

La plus grande partie du système hydraulique de contrôle du couple a été soigneusement installée dans le compartiment moteur déjà très étroit de la Turbo 16.

Pour ce faire, les ingénieurs devaient comparer la vitesse des roues à celle réelle du véhicule (longitudinalement et latéralement), ce qui représentait un défi de taille. Lotus a utilisé deux capteurs de vitesse optiques « Leitz Correvit » montés derrière le siège du passager pour effectuer cette tâche apparemment simple mais en vérité très compliquée.

Notez le boîtier du système optique installé derrière le siège passager.
D’autres composantes du système ont été installées dans la console centrale.

Ces capteurs optiques étaient un peu comme deux téléobjectifs très massifs et étaient «délicats» à installer, calibrer et faire fonctionner. Monsieur Peal s’en souvient, car ils devaient souvent étalonner le capteur de vitesse latéral à l’aide d’une ponceuse à courroie pour simuler la surface de la route, la vitesse de cette courroie pouvant ainsi être mesurée avec précision.

Les systèmes étaient surveillés par le passager – le boîtier de contrôle étant équipé d’une soupape de décharge d’urgence si les choses tournaient mal.

Le système de direction arrière jouait n’importe quel truc de braquage statique que l’équipe Lotus pouvait imaginer: une direction du même sens que les roues avants, ou du sens opposé, donnant un mouvement de «crabe», ou alors une vitesse de rotation très rapide dans un petit cercle. En fait, l’un des tours les plus amusants pour les ingénieurs consistait à commander le maximum de butée à pleine puissance moteur et ainsi obtenir des «burnouts» dans un cercle ridiculement petit.

« … cela laissait deux cercles concentriques très noirs et très petits sur la piste d’essai, pas beaucoup plus grand que l’empattement de la voiture. Oh, et un pilote très étourdi! » – Patrick Peal

Ce système a été entièrement développé par Lotus et fait sur mesure pour la Turbo 16 et les besoins techniques du projet. Steve Green explique comment il ne faut pas le confondre avec l’offre technique de Nissan:

« Le HICAS était un système beaucoup plus simple, bien qu’il ait certaines fonctions similaires au système développé pour la T16. Le notre (Lotus) était beaucoup plus sophistiqué et conçu pour explorer la limite du possible en matière de recherche et développement. »

Notez l’absence du pneu de secours – remplacé par le « système nerveux » de Lotus.

Le «cerveau» de l’opération entière est un ordinateur digital embarqué, installé sous le capot avant, et relié aux divers systèmes actifs par l’intermédiaire d’innombrables câbles de données et fils d’alimentation électriques.

Le directeur technique Peter Wright laisse entendre que la voiture a également été équipée d’un système de freinage antiblocage et de contrôle de la traction, tous deux activés par des «poussoirs» au plancher:

« Nous avons fait très peu de développement sur ces deux systèmes, bien que je me souvienne que nous les avons fait fonctionner correctement et qu’ils étaient raisonnablement efficaces. »

Il serait difficile de trouver des indices de la présence de tous ces systèmes spéciaux simplement en regardant la voiture de l’extérieur, à l’exception d’un seul petit appendice étrange sur le panneau de service du côté droit – une extension de carrosserie pour permettre aux ingénieurs d’en intégrer une partie autour du moteur.

En quelques mois, Lotus a procédé à des tests approfondis sur la batterie complète de systèmes actifs en divers lieux Européens: au Royaume-Uni, en France, et même sur un lac de glace en Suède. Ce point aurait tendance à être confirmé par l’odomètre de la voiture qui affiche 15,915 kms. En comparaison, la voiture de référence affichait un odomètre de seulement 2,192 km au moment de la vente.

« Je me souviens que le système hydraulique de contrôle du couple était très bruyant, et on pouvait savoir si la voiture était en sous-virage ou en survirage sur la piste juste en l’écoutant assis du bureau! » – Peter Wright

Le projet principal fût de construire la Corvette Indy lorsque Lotus a complété tous les tests requis. Cependant, il y a eu quelques problèmes majeurs qui ont laissé la voiture concept en tant que pièce d’exposition non fonctionnelle en 1986. À ce moment, les deux Peugeot avaient déjà été expédiées en Amérique pour plus d’essais au GM Technical Center à Warren Michigan. Elles ont ensuite faite partie de la GM Heritage Collection pendant environ trois décennies avant d’être vendues aux enchères.

Après le défunt projet Indy, GM a déplacé ses ambitions vers une tentative de mise en place de la suspension active dans la Chevrolet Corvette ZR1 de série. Encore une fois, d’autres problèmes ainsi que les coûts exorbitants sont venus à l’encontre du projet. Les systèmes actifs développés par Lotus sur banc d’essai Peugeot ont été «ressuscités» dans le Chevrolet Engineering Research Vehicle de 1990 / CERV III – la finalisation spirituelle de la Indy.

La CERV III – le prototype de Corvette à moteur central équipé de systèmes actifs.

On ne sait pas grand-chose après ceci sur la façon dont le travail acharné des ingénieurs de Lotus a pu affecter directement d’autres projets chez General Motors. Cependant, avec toutes les rumeurs que la prochaine génération C8 de la Chevrolet Corvette sera à moteur central, peut-être même avec des systèmes actifs, il serait tentant de retracer sa lignée vers l’Indy / CERV III et la Peugeot qui lui a servi de mulet. Il est certain que si l’avenir réserve un tel produit vous devrez alors remercier cette petite 205 Turbo 16!

« … les systèmes étaient géniaux. Nous étions tous très tristes de dire au revoir aux deux petites Lionnes quand elles ont été envoyées en Amérique à la fin du projet. » – Patrick Peal

« La voiture dans sa version d’usine était déjà très bonne, même si elle nécessitait un certain effort de la part du conducteur pour exploiter pleinement ses performances. La version active était une machine incroyable et nous en avons beaucoup appris sur la dynamique des véhicules. » – Steve Green

« Un projet sensationnel, et il est bon de savoir que ces voitures subsistent encore. » – Peter Wright


2018 / 2019 – PASSAGES AUX ENCANS

Les deux «Lionnes de Detroit» ont recueilli la poussière dans un entrepôt quelque part en Amérique jusqu’en 2018, date à laquelle GM a finalement décidé qu’il était temps de s’en défaire. Les deux Peugeot ont alors été expédiées à la vente aux enchères de Barrett-Jackson à Scottsdale Arizona en janvier.

« G.H. » (anonymat demandé), l’acheteur de la première voiture (la référence) aux enchères de Scottsdale, (châssis # 048 / VIN VF3741R76E5100048) a trouvé l’histoire sur ce site et a gracieusement accepté de partager des informations sur sa nouvelle 205 T16. Il semblerait que quelques éléments des améliorations normalement présents dans le «kit PTS» seraient manquants: un mystère que le Rally Group B Shrine s’est acharné à résoudre. Le nouveau propriétaire a depuis restauré  la voiture pour profiter pleinement de son achat avec des promenades occasionnelles sur la pittoresque côte ouest américaine.

Les deux Peugeots de GM à l’encan Barrett-Jackson Scottsdale de 2018 (#048 avant plan – #091 à l’arrière).

La deuxième voiture (châssis # 091 / VIN VF3741R76E5100091) a été attribuée au collectioneur D. Hadjopulos qui l’a achetée par « simple curiosité » – parce que ses plus proches amis lui ont dit que « ce serait cool! ». La voiture a cependant été relistée peu après à l’encan Motostalgia de Amelia Island Floride en mars 2018 où elle n’a pas atteint sa réserve  malgré que le Rally Group B Shrine soit entré en contact avec la maison de vente aux enchères pour fournir l’historique appropriée pour la voiture. À ce moment, la Peugeot semblait encore arborer la plupart des systèmes spéciaux implémentés par Lotus, sinon tous. Cependant, il est plus que probable que GM aille rendu ces systèmes inutilisables à l’exception de la suspension active.

En 2019, un représentant de la collection Hadjopulos, qui comprenait alors toujours la voiture système (châssis # 091), a contacté le Rally Group B Shrine pour obtenir plus d’informations sur sa provenance – ignorant la plupart des antécédents de Lotus sur la voiture et son statut de mulet à la Corvette à moteur central. Notre article publié sur le site Web a rapidement changé le sort de la « Lionne » d’une simple « revente rapide » en un projet de restauration de tous ses systèmes actifs.

Le Rally Group B Shrine s’est donc immédiatement mis au travail en contactant les anciens ingénieurs Lotus impliqués dans le projet dans les années 1980. Cependant, des retards intempestifs ont rendu difficile l’établissement d’un calendrier initial. La perte subséquente d’un certain enthousiasme pour le projet a malheureusement fait reculer le propriétaire et la voiture a de nouveau été mise en vente quelques mois plus tard dans le cadre d’un « éclaircissement » de sa vaste collection. Soyez par contre assurés que le Rally Group B Shrine restera vigilant pour correctement préserver cette partie très unique de l’histoire du Groupe B.


RÉFÉRENCES

(C) Article par Jay Auger – propriétaire, auteur principal et rédacteur en chef du site

  • Photos offertes gracieusement par le Motostalgia Auctions d’Elegance, « G.H. », et Steve Green. Les autres photos sont la propriété de leur propriétaires respectifs.
  • S.V.P. bien vouloir lier cette page web à tout article que vous désirez écrire sur ce sujet. Il a nécessité un travail ardu de plusieurs semaines et beaucoup de sommeil perdu!
  • NOTES LÉGALES

REMERCIEMENTS

  • Jonathan Grabowski (sons of taki), pour avoir débusqué une partie de cette histoire en 2013.
  • Patrick Peal, ancien ingénieur chez Lotus, pour avoir partagé d’avantage ses connaissances du projet.
  • Steve Green, ancien gérant de projet chez Lotus, pour avoir ajouté quelques idées et détails bien accueillis.
  • Peter Wright, ancien directeur technique chez Lotus, pour avoir partagé des détails de dernière minute.
  • « G.H.« , pour avoir partagé des informations, des photos, et pour soutenir l’effort du Shrine à préserver l’histoire du Groupe B.
  • Sébastien Dussart, pour les correctifs apportés à la traduction française de cet article.

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